Praveen Moman L’artisan de l’écotourisme
Cet ancien conseiller politique revenu sur les terres ougandaises de son enfance a décidé en 1997 de se lancer dans l’écotourisme en Afrique. Depuis, le succès et la reconnaissance internationale sont au rendez-vous. Dans la tradition de migration indienne en Afrique des années 1850, sa famille arrive au Kenya en 1930, puis s’installe rapidement en Ouganda. C’est là que naît Praveen Moman, d’un père fonctionnaire et d’une mère directrice d’école, et qu’il vit de belles années jusqu’à l’expulsion des Indiens par Idi Amin Dada en 1972. Cet épisode terrible traumatise l’adolescent et sa famille, qui tirent un trait sur l’Afrique et s’installent en Grande-Bretagne. Il y terminera sa scolarité, puis étudiera à Cambridge, avant d’embrasser une carrière de conseiller politique du gouvernement britannique, puis de l’Union européenne. ALLIANCE DU TOURISME ET DE L’AIDE Praveen Moman ne remettra les pieds sur le continent africain qu’au milieu des années 1990, à l’occasion d’une visite politique en Afrique du Sud et en Ouganda. Il ne peut alors réprimer un coup de foudre mêlé de nostalgie pour sa terre natale. Après plusieurs allers-retours et le constat d’un apaisement politique dans la région, il décide en 1997, avec un associé, de créer en Ouganda Volcanoes Safaris, pour faire revivre le safari des grands singes. Il poursuit sur sa lancée et, en 2000, il sera le premier à implanter une société internationale au Rwanda. Il tentera également une ouverture en République démocratique du Congo, sans succès. Praveen Moman centre son activité sur l’écotourisme de luxe, pratiqué de manière intelligente : sans mettre les gorilles en danger, et en venant en aide aux communautés locales. «Les riches s’intéressent aux singes, les pauvres s’intéressent au pain quotidien», explique-t-il. Aussi cherche-t-il le moyen d’instaurer une connexion entre les touristes et les populations, et pas simplement à bâtir des lodges pour les nantis. Les indigènes considèrent les animaux sauvages comme de la nourriture potentielle. Mais en travaillant de près avec eux, ils finissent par adhérer et collaborer aux projets. Selon le fondateur de Volcanoes Safaris, «aider est une démarche très délicate, car il s’agit d’apporter un soutien sans être paternaliste, sans trop protéger, sans orchestrer un spectacle des pauvres pour les riches. Il faut savoir préserver la dignité des populations». Pour chaque touriste reçu, les lodges versent 100 dollars au Volcanoes Safaris Partnership Trust, une organisation caritative qui finance de nombreux projets communautaires. Les lodges reçoivent un maximum de huit personnes à la fois. Le séjour dépasse rarement quatre jours, avec un rituel immuable : départ pour le safari dès 6 heures du matin et retour pour un déjeuner tardif. L’après-midi, les écotouristes peuvent partir à la découverte d’autres animaux ou s’investir dans un projet caritatif. En Ouganda, on trouve tous les animaux, sauf le rhinocéros. Le pays abrite notamment 1200 espèces d’oiseaux, tandis que le Rwanda en compte 700. Le safari consiste à marcher dans la forêt ou la jungle à la recherche des gorilles. On ne peut les approcher à moins de sept mètres. Généralement, on les trouve en groupes composés de nombreux individus. L’observation dure environ une heure.
UNE SOIF DE RÉUSSIR La fierté de Praveen Moman, c’est de voir le chemin parcouru par ses employés en termes d’apprentissage et de qualité des prestations, compte tenu des conditions dans lesquelles ils vivent. Cette soif d’apprendre et de réussir avec leurs équipes les motive, son épouse et lui, tous les jours. Sans compter l’association entre tourisme et conservation, et ce lien qui se crée entre les clients très aisés, en majorité américains, et la population locale, qui est fort touchant. Praveen Moman réalise au quotidien à quel point l’environnement naturel en Afrique est terriblement menacé. Son rêve est de pouvoir faire passer le message aux autorités gouvernementales et aux entreprises, afin qu’elles y prêtent plus d’attention, car nombre de projets sont basés sur une vision dangereuse à court terme. La destruction des forêts pour des constructions touristiques de masse tue les écosystèmes, avec des conséquences dramatiques. Cela est encore aggravé par l’explosion démographique et l’accroissement exponentiel de la consommation. Pour Praveen Moman, il faudrait réfléchir ensemble au bon équilibre entre les besoins du développement économique et la conservation de l’environnement en Afrique. FAIRE UNE DIFFÉRENCE Est-il aisé de faire du business en Afrique? Praveen Moman sourit avant de répondre. «Ce n’est pas simple. Je suis revenu en croyant que je pouvais recréer l’Afrique de mon enfance. J’étais très naïf et plein d’enthousiasme. La réalité est autre. Les niveaux de compétences sont très bas dans ma région. Il a fallu commencer avec le B. A. BA et progresser pas à pas. Tous les employés des lodges sont des Africains noirs. Dans les bureaux, il y a plus de mixité. Nous motivons le personnel et les aidons à faire des progrès. Il faut éviter les clichés. L’objectif est de donner à chacun la possibilité de faire une différence dans l’entreprise, dans sa propre famille et dans sa vie. Gérer une entreprise d’écotourisme en Afrique est un casse-tête.» Praveen Moman et son épouse ont vendu leurs biens pour investir dans ce projet de vie, car il leur était difficile d’obtenir un prêt. Ils ont créé trois entités distinctes pour éviter les complications, une en Ouganda, une au Rwanda et une troisième au RoyaumeUni. Le Rwanda a le plus gros chiffre d’affaires avec 65% d’occupation annuelle. L’Ouganda emploie le plus de monde avec une équipe d’environ 180 personnes. Le bureau londonien est tout petit et gère essentiellement le marketing. Et si c’était à refaire? Il rit de bon cœur : «Il est plus facile de construire et de gérer un grand hôtel en ville qu’un petit lodge en brousse. Chez nous, tout est petit, fait main, sur mesure et donc très cher. Ce secteur ne convient qu’à des entrepreneurs passionnés, travaillant sur le long terme, et pour qui l’objectif premier n’est pas de s’enrichir, mais de servir.» Praveen Moman vient de rénover entièrement le Mount Gahinga Lodge. L’aventure continue.
By Nadia Acogny